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Diplomatic Documents of Switzerland, vol. 4, doc. 239
volume linkBern 1994
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Archive | Swiss Federal Archives, Bern |
▼ ▶ Archival classification | CH-BAR#E2200.41-02#1000/1671#3606* |
Old classification | CH-BAR E 2200.41-02(-)1000/1671 517 |
Dossier title | Correspondances politiques et diplomatiques, Teil 1 (1897–1897) |
File reference archive | 1 |
dodis.ch/42649 Le Département politique aux représentations diplomatiques1
Monsieur Bourcart nous écrit de Londres en date du 6 de ce mois:
L’impression que je retire des conversations que j’ai eues ces derniers jours avec la plupart de mes collègues et hier encore avec Lord Salisbury est qu’on considère les dangers d’une conflagration européenne comme écartés pour le moment. Je vois par les rapports que Vous avez bien voulu me communiquer que c’est la note dominante presque partout. On n’ose toutefois pas prévoir ce que réserve l’avenir un peu plus éloigné.
L’entente austro-russe a donné la plus grande satisfaction parce qu’elle met le holà à toute intention belliqueuse des Etats des Balkans. Le Ministre de Serbie, avec lequel j’ai eu l’occasion de m’entretenir longuement hier, qui est un homme posé et de valeur, ancien Ministre des Affaires étrangères me disait: «Non seulement nous prenons notre mot d’ordre à St-Pétersbourg, mais nous obéissons aveuglément à tout commandement du Tzar sans même nous permettre de le discuter. Les Russes ont su nous faire croire que l’Autriche-Hongrie n’avait pas d’avenir dans les Balkans, que le jour viendrait où elle serait forcée de se retirer des provinces turques occupées par elle et nous les avons crus; on nous faisait entrevoir que nous pourrions bien devenir ses successeurs et c’est ainsi que nous nous sommes mis à la remorque de la Russie. Dans ces circonstances la visite de l’Empereur François-Joseph à St-Pétersbourg donne à penser à bien des gens; les deux rivaux s’entendent derrière notre dos et nous risquons d’avoir fait un marcher de dupes. La Russie nous a aussi déçus sur un autre point; autrefois lorsqu’il s’agissait de la Macédoine on parlait de partage entre les Bulgares et nous ou entre les Grecs et nous; tous ces projets toutefois soulevaient des protestations de la part d’une des parties intéressées qui ne se trouvait pas assez bien partagée, mais enfin il y avait une agitation organisée parmi les Serbes de Macédoine en faveur de la Serbie, parmi les Bulgares de la province en faveur de la Bulgarie etc. Aujourd’hui la Russie a remplacé tout cela; elle a éliminé de sa sphère les agissements auprès des Grecs et ne fait plus appel qu’aux nationalités slaves, mais cet appel n’est pas en vue de leur rattachement à l’un des Etats des Balkans; on ne dit plus à ces populations: «Vous êtes Serbes, vous êtes Bulgares! On leur dit: Vous Slaves, il n’y a qu’un tzar pour les Slaves et lui seul est en état de vous protéger.» Malgré cela M. Mjatowitch m’a assuré que la politique serbe restait aux ordres de la Russie; il m’a assuré formellement qu’on ne bougerait pas et qu’il était persuadé que les Bulgares se tiendraient tranquilles également.
Au cours de la conversation j’avais exprimé mon étonnement de ce que les Grecs n’aient pas été soutenus par un mouvement révolutionnaire en Macédoine comme ils l’avaient annoncé et que tout le monde attendait; mon collègue m’expliqua que cela ne l’étonnait pas: «Voyez-vous, me dit-il, j’ai l’expérience de ces choses, en 1876 nous pensions aussi pouvoir compter sur une révolution dans la vieille Serbie et elle ne s’est pas produite. Voici comment les choses se passent, j’en ai eu l’exemple assez souvent quand j’étais membre du Gouvernement: il y a un certain nombre d’agitateurs de profession des différentes nationalités; ils sont originaires des provinces turques, mais comme il ne leur est pas agréable de vivre sous la domination du Sultan, ils s’établissent dans les petits pays de leur race et là ils s’établissent agents agitateurs, c’est leur profession et souvent aussi leur gagne-pain. Ils viennent alors, quand le moment leur paraît opportun, chez les ministres et leur disent qu’ils ont de l’influence chez eux, qu’ils connaissent le pays, qu’ils se font fort de le soulever à heure dite, bref ils ont tout un plan de campagne qui ne demande que l’appui de quelques subsides pour réussir à merveille. Ces gens toutefois n’ont généralement aucune influence, sont trop souvent d’une respectabilité douteuse et ont songé avant tout à leur intérêt personnel, aussi quand le moment attendu est venu, personne ne bouge-t-il dans les provinces turques. C’est ainsi du moins que cela se passe presque toujours, c’est ainsi que les Grecs ont été déçus. Ils avaient, en outre, la Russie et ses agents contre eux et ils n’en ont pas assez tenu compte.»
Au sujet de la conférence internationale ou du congrès qui aurait été proposé par l’Angleterre, je tiens de meilleure source que, malgré les démentis, Lord Salisbury a bien réellement fait une proposition de ce genre. Il n’a pas, il est vrai, fait une proposition formelle, mais il a fait tâter le terrain par les ambassadeurs britanniques auprès des grandes puissances. Cependant ceux-ci ont rencontré un accueil si peu favorable qu’il n’a pas été donné d’autre suite à la proposition; on a donc pu dire, sans mentir, qu’elle n’a pas été formulée, les Ambassadeurs ici se montrent du reste tout disposés à faire leur possible pour dissimuler cet échec de Lord Salisbury. Sa proposition tendrait, m’assure-t-on, à réunir une conférence qui aurait été appelée à examiner et à résoudre si possible les affaires d’Orient. Lord Salisbury ayant pensé lui soumettre aussi la question arménienne et la question des réformes turques. Les puissances toutefois ont jugé qu’il pouvait être dangereux de soumettre en ce moment un programme aussi vaste à une conférence car d’autres questions pourraient surgir qui auraient risqué de troubler l’entente si heureusement obtenue pour le moment; on reproche notamment aussi à Lord Salisbury de n’avoir pas su prévenir que si son programme comportait «les affaires» d’Orient, il était de ces affaires que l’Angleterre ne devait pas désirer voir traitées, telles que l’occupation de l’Egypte par exemple qui est aussi une «affaire d’Orient». Quant à réunir une conférence où les démêlés entre la Grèce et la Turquie seraient seuls traités, on trouve que ce n’est pas la peine de mettre en mouvement un attirail diplomatique aussi pompeux.
L’Angleterre a donc renoncé à sa conférence et Lord Salisbury me l’a confirmé hier, elle s’est ralliée à la proposition Mouravieff: intervention à la demande de l’un des belligérants seulement. Comme je vous le disais plus haut Lord Salisbury m’a déclaré qu’il croyait la paix assurée entre les grandes puissances; il croit pouvoir admettre que les Etats des Balkans et la Macédoine ne bougeront pas; toutefois il ne m’a pas paru tout aussi positif que les Ambassadeurs, en ce sens qu’il craint de la part de la Turquie, à la suite de ses succès, une attitude moins docile, lorsqu’il s’agira de régler les conséquences de la guerre, que celle qu’elle avait adoptée avant l’ouverture des hostilités. Or si la Turquie ne se soumet pas de bon gré aux décisions de l’Europe il n’y a guère que la Russie et les Autrichiens qui aient des forces suffisantes presque sur place pour faire céder le Sultan; seulement une intervention de ces deux puissances serait pleine de dangers pour la paix générale.
L’attitude de l’Allemagne donne naturellement à penser ici; elle est partout hostile à l’Angleterre qui, quoiqu’on en dise, se trouve par là gênée dans ses mouvements; c’est cependant, je crois, donner pour le moment au moins, une forme trop précise à la politique de l’Empereur Guillaume II lorsqu’on parle, comme un de mes collègues le faisait hier, d’une «entente» continentale ayant pour but de laisser pour le moment l’Angleterre à sa suprématie maritime et coloniale qu’elle fait sonner si haut et de lui interdire par contre toute immixtion dans les affaires européennes.
Le Baron de Courcel, Ambassadeur de France, me disait ces jours: «Lorsque l’Angleterre a permis la formation de l’Empire d’Allemagne elle devait se rendre compte qu’elle le rencontrerait un jour sur sa route. L’Empire a relevé les vieilles traditions hanséatiques et avec la ténacité prussienne que l’Angleterre devrait connaître par expérience, il les développera toujours plus et deviendra un rival de jour en jour plus dangereux pour la vieille Albion.
- 1
- E 2200 Paris 1/296.↩
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